Article La médiation à l’école vers une éducation à l’Intelligence Collective

6 août 20190

Par Aurélie Thorez – extrait de son mémoire « Introduction à la médiation scolaire en Polynésie Française » 12/2014 

Pierre Levy définit l’intelligence collective comme d’abord celle de l’échange. Pour lui les métiers du futur seront des métiers de la relation, « de l’ingénierie de l’intelligence collective et des qualités humaines ». Il soulève le vrai problème à résoudre, celui « des capacités particulières de chacun à créer du lien social », « à devenir médiateur » !

En effet, précise Jean-François Noubel, dans sa publication « Intelligence Collective, la révolution invisible » (2004), « les grands enjeux de l’humanité ne sont pas la faim, la pauvreté, le développement durable, la paix, la santé, l’éducation, l’économie, les ressources naturelles… mais notre capacité à élaborer de nouvelles organisations capables de les résoudre. Notre enjeu principal est l’intelligence collective. »

Les organisations professionnelles et associatives ont été contraintes d’évoluer en ce sens. Elles doivent s’adapter au changement d’une société de plus en plus informée, exigeante et en quête de sens. Le management directif s’est progressivement transformé en un management participatif puis coopératif. Le chef a perdu son autorité pour gagner en leadership. Le coaching et la médiation sont devenus les outils incontournables pour l’optimisation des ressources humaines.

De même, l’emploi du préfixe « CO » pour parler de travail collaboratif est à la mode : la co-création (créer des produits et services en collaboration active avec ses clients), le co-dévelopement, coécrire un livre…

Notre société capitaliste et individualiste serait-elle en train d’évoluer vers le collectif ?

Effet de mode ou nécessité ?

Philippe Mérieu qui milite pour la coéducation, expose « Face à un défi collectif c’est par du collectif qu’il faut répondre ! »

« Dès lors que des adultes se parlent, échangent, se complètent, s’enrichissent de leurs compétences réciproques, l’élève a tout à y gagner. Parce qu’il y a une pluralité de regards, d’approches, et parce que chacun des adultes membres de l’équipe devient une équipe à lui tout seul, il pourra bénéficier des apports, de l’éclairage, des outils de chacun. C’est l’idée forte de l’intelligence collective : on est plus intelligent à plusieurs que seul »

Oui mais le système éducatif français est basé sur la réussite individuelle sanctionnée par un diplôme.

L’objectif quantitatif le rappelle : fixé par la loi de 2005, il est de garantir que 100% des élèves aient acquis au terme de leur formation scolaire un diplôme ou une qualification reconnue, et d’assurer que 80 % auront accès au niveau du baccalauréat, et 50 % à un diplôme de l’enseignement supérieur.

Il se veut démocratique, c’est à dire ouvert à tout niveau social, et offrant l’égalité des chances.

Mais en réalité l’école peine à réduire les inégalités sociales : seulement 47% des enfants d’inactifs ne redoublent pas avant la quatrième, contre 93% des collégiens dont le père est cadre ou enseignant (chiffres de 2005).

Néanmoins, il convient de faire remarquer que cet écart se resserre puisque en 1995 seulement 1/3 des enfants d’inactifs arrivaient en 4e sans redoubler, soit une progression de 11% en 10 ans.

On peut penser que, à l’instar des études qui ont été faites dans les autres pays, le développement de la médiation dans les écoles françaises, à partir des années 2000, y a très certainement contribué.

Depuis 2000, la Finlande se classe parmi les meilleurs élèves aux évaluations PISA (Programme international des acquis des élèves) organisées par l’OCDE. Elle est aussi le pays où l’impact des inégalités sociales à l’école est le plus faible.

Il s’agit d’un système basé sur une coopération entre partenaires égaux, la loi précisant que

« l’éducation doit être organisée en coopération avec les familles et tuteurs des écoliers afin qu’ils reçoivent l’éducation, les conseils et les soutiens qui correspondent à leurs besoins spécifiques et à leur niveau de développement ».

Comment donc évoluer vers cette coéducation et vers une éducation à l’intelligence collective ? Et en quoi la médiation apparaît comme l’outil incontournable pour ce faire ?

La coéducation

 

Au delà de la résolution amiable d’un conflit, la médiation est avant tout un processus coopératif qui tend à favoriser et faciliter le dialogue. Elle instaure un cadre permettant de faire émerger l’intelligence collective, permettant de penser ensemble, de créer du sens ensemble.

Dans le cadre des relations Parents/Enfants/Enseignants, la médiation offre un espace et un cadre privilégié pour permettre les rencontres et faciliter les échanges d’idées et de points de vu, de prévenir les conflits, de libérer les ressentis et émotions…

Mieux informés, compris et entendus, l’ensemble des acteurs de l’éducation d’un enfant participe ensemble à son épanouissement. Des liens de confiance entre l’école et les familles se renforcent.

Plusieurs actions peuvent ainsi être menées :

  • Co-écrire le règlement de l’école entre les enseignants et les élèves, pour une meilleure connaissance et acceptation de celui-ci (inscrit au programme d’éducation civique en France).
  • Co-écrire une charte entre les parents et les enseignants pour mieux comprendre les rôles, attentes et places de chacun.
  • Créer des projets pédagogiques communs entre classes ou pour toute l’école.

En effet, un atelier de médiation est un outil puissant dans le milieu scolaire.

L’écriture et les monologues ralentissent la pensée alors que les échanges oraux et collectifs la démultiplie, il y a une sorte d’émulation intellectuelle qui est favorable à tout le monde, les idées générales qui se dégagent n’appartiennent plus à un seul individu mais à un collectif d’individus. La pensée collective est bien plus productive que la pensée individuelle. C’est aussi le propre de l’homme que de vivre en communauté pour développer une intelligence supérieure nécessaire à la survie de son espèce.

Dans toutes les sociétés, il y a toujours eu des comités de sages. D’ailleurs, les cellules de crise prévues dans les organisations gouvernementales ou privées, qui réunissent des experts de chaque service ou métier lors de la survenance d’un dysfonctionnement grave, démontre bien la nécessité encore aujourd’hui de prendre des solutions communes en cas d’urgence et d’importance.

Mais, pour que cette intelligence collective soit profitable, il importe aussi de créer un équilibre des paroles et des pouvoirs entre les personnes réunies.

De part ses qualités éthiques et déontologiques, et grâce au cadre qu’il amène, le médiateur apparaît comme un leader idéal pour faciliter la circulation équitable et respectueuse de l’intelligence du groupe qu’il reçoit.

C’est parce que le médiateur est extérieur et non impliqué, qu’il n’a pas d’intérêts personnels, qu’il est neutre et impartial, et qu’il créé le climat de respect et de confiance mutuelle indispensable, qu’il apparaît le chef d’orchestre idéal pour l’optimisation et la réussite de ces projets collectifs d’école.

Apprendre, s’élever, par l’expérience collective

Mais enseigner la médiation c’est aussi enseigner à mieux vivre ensemble.

Pour devenir médiateur, il faut avant tout savoir écouter et savoir prendre le temps.

Dans nos sociétés du tout tout de suite, de la modernisation et des moyens de communications à distance, les qualités relationnelles se sont peu à peu détériorées.

Ainsi, la médiation permet d’offrir aux personnes le temps de se retrouver ensemble pour s’écouter. L’espace d’un moment, se déconnecter du quotidien et du numérique, pour se regarder à nouveau.

Enseigner la médiation c’est aussi retrouver les valeurs fondamentales que sont le respect et la bienveillance : vouloir le bien d’autrui, respecter et considérer son prochain.

C’est apprendre à aller vers l’autre, à se familiariser avec la différence pour la transformer en une richesse plutôt qu’une peur.

C’est apprendre à exprimer ses émotions, à mettre des mots sur ce que l’on ressent, apprendre à les accepter et à les contrôler. Or, en travaillant sur la connaissance de soi, on travaille également à la connaissance de l’autre.

En effet, plus notre conscience de soi est élevée, plus nous sommes capables de prendre conscience des autres. Autrement dit, plus nous existons en tant que nous-même, plus nous acceptons que les autres existent en tant qu’eux même. Les qualités sous-jacentes sont alors : empathie, tolérance, respect, non-jugement… Elles sont aussi les qualités requises pour être un bon médiateur.

L’esprit de la médiation c’est donc aussi éduquer à l’intelligence émotionnelle et collective

La coopération dans les apprentissages Enseignant/élèves – Elèves/Elèves

Enfin, éduquer à la médiation c’est peut être aussi repenser la manière d’apprendre.

Universcience * défini la coéducation comme « une forme d’éducation qui privilégie l’apprentissage en autonomie, par l’expérience collective et la collaboration. Elle ne se limite pas à l’interaction entre l’enfant et le média censé permettre l’apprentissage, mais s’appuie aussi sur l’émulation du groupe et prend en compte la situation d’apprentissage dans son ensemble. La coéducation est un processus interactif et collectif qui favorise la socialisation de l’enfant »

 

L’enseignant ne détient pas « le » savoir, il détient « un » savoir et il transmet surtout le rapport qu’il a avec ce savoir.

De plus, l’enfant d’aujourd’hui a une multitude de possibilités d’accéder au savoir. L’enseignant est le guide qui donne les pistes de cet accès et en enseigne les richesses mais aussi les dangers.

Dans son manifeste « le plaisir d’apprendre », Philippe Mérieu, convaincu que « dans la course effrénée que vivent nos enfants aujourd’hui, la découverte du plaisir d’apprendre reste l’acte fondateur de toute éducation », explique qu’il est vain de forcer un élève à entrer dans les apprentissages. C’est l’élève qui détient le pouvoir. « Nul ne désire, n’apprend et ne grandit pour quiconque et c’est là, au cœur de cette tension vive que prend naissance la pédagogie ».

C’est en ce sens que nous avons trouvé intéressant de comparer la pédagogie collaborative et la pédagogie de la médiation.

Sans aller jusqu’à dire qu’un éducateur serait un médiateur au sens juridique du terme, en se plaçant comme médiateur du savoir, l’enseignant, va plus loin que le fait de partager son savoir, il permet de faire émerger le savoir d’une classe toute entière.

Il en est de même quant à la discipline. Nous avons eu la chance d’observer, lors d’un cours éducation à la paix à l’école internationale de Tahiti, un bel exemple d’éducation positive. Alors qu’un élève perturbait la classe en faisant rire ses camarades, au lieu de le sanctionner individuellement ou sanctionner collectivement la classe, l’enseignant a demandé à l’enfant de venir s’asseoir à côté de lui, il lui a d’abord demandé ce qu’il pensait de son attitude et comment il pouvait faire pour se calmer, puis il a demandé à la classe comment elle pouvait l’aider à se calmer. A l’instar du médiateur, l’enseignant ne s’est pas positionné en juge ou décideur, il a laissé à l’ensemble des élèves concernés la possibilité de trouver ensemble la solution la mieux adaptée pour retrouver le calme.

Cette réflexion vient conforter l’idée que l’introduction de la médiation à l’école va bien au delà de la résolution et prévention des conflits. La culture de la médiation c’est aussi aller vers une éducation à la paix, à l’intelligence émotionnelle et collective.

 * Universcience est né en 2010 du rapprochement de la Cité des sciences et de l’industrie et du Palais de la découverte.

Par Aurélie Thorez, co-gérante API ORA

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